Le 29/07
Le village de Fakarava est l’endroit le plus habité, animé par lequel nous sommes passés depuis ces derniers mois. Ce retour à la civilisation nous procure un drôle d’état. Nous sommes comme saouls! Trop de monde d’un coup, d’informations visuelles. Des touristes en maillot de bain passent à vélo, à pied, on croise des locaux que nous avons à peine le temps de saluer. Dans les petits villages, on s’arrête, on échange quelques mots, là, la coutume disparait avec l’afflux touristiques. Nous quittons le village le lendemain de notre arrivée, pour rejoindre le Sud de Fakarava : 50 km dans le lagon, avec même, un chenal matérialisé. La navigation est parfaite, pas de houle, 15 nœuds de vent, au largue, nous glissons tout en douceur et l’on s’en étonne ! Ce genre de navigation est pour tout dire tout à fait inhabituelle, seul aux Roques au Venezuela dans le lagon, nous avions connu cela ! » Marco me déclare : « Il y en a qui payerait des millions pour naviguer ainsi ! » Nous jetons l’ancre à Hirifa, aux abords d’une jolie plage de sable rose, que nous trouvons à notre goût, trop habitée : 3 cabanes s’y trouvent ! On devient de véritables sauvages… Mais pour tout dire, actuellement, nous sommes plus à la recherche de lieux isolés où nous pouvons pêcher. Le lagon de Fakarava est atteint de ciguatera et l’on ne peut manger le poisson sous peine de chopper la gratte. En discutant avec les anciens, nous apprenons que la ciguatera est apparue juste après les essais nucléaires, quelle coïncidence ! A Fakarava, elle a vu jour lorsque les premiers bateaux venant de Mururoa sont venus nettoyer la coque de leur navire en ces lieux. Les recherches spécifiques sur la ciguatera ne font pourtant pas de relations entre les essais nucléaires et ce problème… Toujours est-il que de nombreux atolls sont maintenant touchés et que les habitants en font les frais. Leur unique ressource est menacée, les cancers se multiplient, mais ce qui est rassurant c’est que nous sommes mieux en mieux armés. Pour nous détruire mutuellement!
Le 29/07 au 05/08
Nous décidons d’aller mouiller à la passe aux sables roses.
Cependant c’est des couleurs plutôt grises et ouatées qui nous enveloppent. Les lieux nous apparaissent sous un jour différent, on se croirait presque aux Samblas ou au Panama, avec cette lourde chape nuageuse. Le slalom au milieu des patates s’avère délicat sans l’éclat habituel de l’eau. Une zone de convergence, accompagnée de dépressions se pointe ; nous essayons de trouver le meilleur endroit pour se protéger de la houle et du vent. Marco a bien étudié le terrain aussi nous faufilons nous dans ce labyrinthe entre sable et coraux. Le vent possède de fortes chances de basculer soudainement d’une direction à l’autre. Nous connaissons ce phénomène, pour s’être déjà fait piégés plusieurs fois et avons trop baignés dans la frayeur. A présent, nous bénéficions des motus d’un côté et de l’autre une langue de reef qui devrait casser la houle. Nous ne pouvons guère faire mieux en tout cas nous n’imaginons pas d’autres solutions! En attendant, nous allons découvrir ces nouveaux motus à pied.
Quelques rayons illuminent les motus, l’eau s’éclaire de bleu turquoise intense et de dégradés subtils.
Les petits îlots apparaissent comme dans les rêves les plus audacieux. Cerclés d’une bande de sable rose saumon, les cocotiers éclatent dans cette splendeur.
Une autre surprise nous attend dans la passe. Celle-ci est réputée pour la plongée dans le monde entier, surtout pour son fameux mur aux requins. Nous n’avons, hélas, pas de bouteilles de plongée, mais avec un simple masque, nous nous laissons porter par le courant rentrant, accrochés à l’annexe. Le fond n’est qu’un tapis grouillant de requins gris effectuant un ballet. Ces gros prédateurs sont majestueux, des reflets bleutés soulignent leur ligne élégante. Une telle profusion nous laisse pantois. Sur le tombant au large, nous pouvons admirer en plus d’énormes thons, des barracudas monstrueux, des Napoléons replais, de gros mérous… Nous sommes émerveillés et excités comme des gamins, du coup, dès que la marée nous le permet, nous retournerons chaque jour assister à ce ballet aquatique.
Etonnement, très peu de bateaux se sont arrêtés dans le coin. Peut être parce que nous sommes à contre courant par rapport au flux, seuls 2 autres bateaux sont au mouillage.
Nous faisons la connaissance de 2 Raahans ayant chacun un petit bateau de 9 mètres. Ils sont jeunes, ils sont beaux, musclés, bronzés à souhait, sympas… Ils sont Français, ils ont traversé les océans et ont atterri aux Tuamotu. Ils vivent en donnant quelques cours de kitte, en faisant du charter pour les jeunes aux petites bourses en soif d’aventure. Ils surfent, plongent, font du paddle, du kitte, de la chasse sous marine pour manger, ils sont libres et heureux. En fait il font plaisir à voir… L’apéro en leur compagnie me renvoie à ces moments partagés avec mes enfants où l’on boit un grand verre de gaité, de fraîcheur, où l’on picore des pépites de malice, de jeux…
Cette jeunesse intrépide n’a peur de rien. L’autre jour Raahan1 chassait, il transperça de sa flèche une petite carangue. Elle resta donc sur le fil en nageant autour de Raahan lorsque les requins en quelques secondes ont déboulé et pris de frénésie n’en n’ont fait qu’une bouchée. Raahan fut bousculé, reçu des coups de queue et son bras fut éraflé par la peau de l’un d’eux venu se frotter un peu trop près.
Tout à l’heure en rentrant de la chasse, Raahan 2 a accroché la tête d’un poisson à une corde au bout de son paddle, il a pu ainsi se faire tracter quelques secondes par les requins en rigolant. Le matin au réveil, ils montent au mât et sautent dans l’eau. Toute la journée les activités s’enchaînent, ils s’ébrouent comme de jeunes chiens fougueux.
Un jour, Marco se joint à la joyeuse bande à Raahan pour aller chasser dans la passe. Ils vaut mieux plonger à plusieurs dans ce genre d’endroit pour assurer la sécurité de celui qui tire. D’ailleurs la situation ne tarde pas à se présenter. Raahan 2 use de sa gâchette, et harponne une carangue qui attire rapidement une vingtaine de requin. L’un d’eux s’empare en une bouchée de cette proie facile, emportant, par la même occasion, le fusil que Raahan n’a pu retenir. Marco se met à la poursuite du requin dans l’espoir de récupérer le fusil du copain. Le requin ayant finit de se curer les dents avec la flèche abandonne son fardeau, Marco récupère l’arme par plus de 20 mètres de fond. L’odeur du repas fraîchement ingéré flotte dans ces eaux, aiguisant l’appétit des prédateurs. La chasse devient sportive : Marco tire à son tour une grosse carangue, qu’il remonte à une vitesse supersonique, ne laissant aucune chance aux requins gris de venir lui piquer… Cependant les drôles commencent à être un peu trop excités, la bande à Raahan abandonne la partie.
Le vent se renforce, durant la nuit il bascule au Nord sans égard pour notre sommeil. Le bateau est bien secoué, tout comme nos méninges. La journée s’établit sous un ciel gris où des grains se succèdent. Le vent tourne dans tous les sens, s’essouffle la nuit suivante et revient avec plus de vigueur. Nous avons la chance d’avoir une connexion internet, de temps à autre, ce qui nous permet de suivre l’évolution du phénomène. En observant les prévisions des jours suivants, nous constatons qu’un vent inhabituel du Sud arrive.
Marco me dit :
« Ca ! ça ce serait des conditions parfaites pour aller aux Marquises ! »
« Et bien pourquoi n’irions nous pas ? »
C’est vrai ça, les Marquises font partie de notre rêve Polynésien et ne sachant pas ce que nous réserve l’avenir, pourquoi ne pas y aller là, maintenant ???
Qu’à cela ne tienne : un peu plus de 1000 km à faire, en 6 jours de mer nous pourrions rejoindre Fatu hiva, notre première destination. Vu l’orientation du vent, nous ne serions pas obligé de faire du près serré, donc une navigation plus tranquille. Il est vrai qu’ à présent, nous appréhendons un peu les longues traversées, mais l’idée de découvrir de nouveaux décors nous donne davantage de courage. A bientôt sous de nouvelles latitudes…
Le 10 Juillet
Partout en Polynésie lorsque tombe la nuit, la musique s’éveille dans les villages. Les tamtams, les ukulélés te to’ere, un instrument de percussion polynésien, résonnent et ce soir, les danseuses sont de sorties. Elles répètent en vu du 14 Juillet. Cet événement est largement fêté, ici, on l’appelle la Heiva. Notons que toutes fêtes intéressent les polynésiens ! Nous allons donc voir les jolis popotins en paréo bouger au rythme cadencé. Les déhanchés sont impressionnants…
Le vent commence à forcir aussi, il faut déguerpir et trouver refuge aux motus de l’Est. L’un deux attire notre attention du fait qu’il y ait des filao, arbres à aiguilles longues, aussi on jette l’ancre à proximité. Le vent développe un joli bruissement dans les aiguiles. Il y a une cabane à copra, noix de coco, mais personne n’est là. En marchant sur le reef, nous trouvons une bouteille de plongée ramenée par les vagues. N’étant pas équipés pour la plongée et ne voulant pas charger davantage le bateau, nous décidons de la ramener devant la cabane : cela sera une surprise… Après deux nuits un peu agitées, le vent se calme. Nous en profitons pour rejoindre la passe à l’Ouest en vu de notre départ demain. Mais avant de partir, nous voulons aller plonger dans la passe. Au préalable, nous nous rendons à pied le long de celle-ci pour vérifier que le courant soit rentrant. Si non, on a vite fait de se faire emporter au large et adieu va…
Les conditions semblent bonnes après nous être équipés nous remontons en annexe le courant jusqu’à la sortie de la passe. On saute à l’eau avec palmes, masques, tubas et accrochés à l’annexe nous nous laissons porter par le courant en ouvrant grands les yeux… Et ben là c’est du gros !!! des bans de barracudas de plus d’1,50m, des nuées de carangues de toutes espèces, des énormes mérous, des requins gris, des murènes géantes, des napoléons… On hallucine ! Marco devient fou, il plonge en apnées au milieu des carangues, les appelle, comme il sait le faire, en émettant un son guttural. Elles viennent tout autour de lui. Je regrette de ne pas avoir un appareil photo qui va dans l’eau car c’est magnifique de voir cela du dessus. On est tellement excités que l’on refait 5 fois la passe, jusqu’à ce que le courant devienne trop fort et que je commence à grelotter. L’eau n’est qu’à 26°c et même avec une combinaison j’ai l’onglet à tous les doigts… Marco se fou bien de moi, mais en voyant mes lèvres violettes, il abdique.
Le 15/07
Nous ne pouvons sortir de la passe avant que le jour ne soit là, le seul problème c’est que l’étale était présente il y a quelques heures. Nous nous approchons de l’unique passe de sortie de Tikehau dès le premier rayon de soleil. En voyant l’état de celle-ci, avec d’énormes remous et des crêtes blanches à la sortie, genre mascaret, on se doute que le courant est déjà fort. Marco me dit avec son tact légendaire, en voyant mon stress: « – Quand ça moutonne comme ça, c’est qu’il doit y avoir un bon jus, mais ça va aller, on a pas le choix de toute façon si on attend, on risque de devoir faire toute la route au moteur, bon, on risque de bien se faire secouer, alors on va fermer tous les hublots, et surtout pense à toujours rester dans l’axe des repères !!! » Super ! Je suis tout à fait rassurée, j’ai juste l’estomac qui se serre, les jambes qui tremblotent en regardant la barre de courant qui nous attend ! Je me défilerais bien, mais Marco commence à gueuler… J’ai l’impression de me retrouver jeunette au départ d’une compétition de descente à ski ! T’as pas envie d’être là, t’as les pétoches, mais faut pourtant il faut te lancer… N’écoutant que mon courage et ma témérité, je mets plein gaz afin de garder un minimum de contrôle du bateau. Si je m’écoutais, je mettrais la marche arrière… Nous voilà propulsés dans le courant, étonnement je garde bien le contrôle, la sortie nous réserve néanmoins une petite séance rodéo qui nous éjecte hors du lagon telle une comète… OUFFF ! Nous quittons Tikehau avec le sentiment d’être comblés.
L’origine du mot Tikehau signifie en polynésien : l’homme en paix. Cet atoll porte bien son nom, nous avons pris plus qu’un bol de paix, durant ces 6 semaines, un vrai bain… Je dois reconnaître que Marco a bien choisi la météo, les conditions sont superbes : doux alizés de Nord-Est qui nous permettent de faire cap sur Toau en un bord de près bon plein-travers. Peu de houle, aussi nous continuons à nous prendre pour une comète. Une comète ayant quelque peu ralentie sa course à 6 nœuds! Nous longeons Rangiroa à la voile, là où les essais nucléaires français avaient lieu de 1966 à 1996. C’est le deuxième plus grand lagon au monde avec 80 km de longueur. Le rivage est bordé de plage avec des roches volcaniques. Peut être reviendrons nous voir ça de plus près à l’intérieur du lagon. Plus tard ? En fin d’après midi, nous tombons sur un banc de thons qui viennent mordre sur toutes nos lignes. Nous en remontons 3 à bord. Nous en réservons 2 pour les donner. Un rayon vert vient clore cette belle journée.
Après 30 heures de navigation, nous arrivons à Toau ; un atoll où se trouve une fausse passe dans laquelle nous pouvons nous amarrer à une bouée.
(Photo de notre bateau prise dans la baie de Toau par notre pote Italien à l’aide de drone.)
Nous ne sommes donc pas dans le lagon, mais en pleine mer, toutefois très bien abrité du vent et de la houle. C’est un lieu prisé par ceux qui arrivent des Marquises, en particulier des Américains car il n’y a pas de passes à franchir. Nous sommes surpris de ne trouver personne, surtout à cette époque ! Il y a 6 habitants dans tout l’atoll, une famille vit ici, il y a même une petite pension. En ce moment, tout est désert. L’eau est cristalline, aussitôt arrivés nous allons découvrir la barrière de corail et ses occupants. Un véritable jardin aquariumisé. De nouveaux remoras, poissons à ventouse qui servent de pilote aux requins et qui à présent squattent sous le bateau.
Il y a toute une armada de gourmands que l’on dompte avec de la nourriture, ils viennent manger dans nos mains, gare aux doigts… Mais leur régal, ce qu’ils préfèrent c’est la crotte… Nous avons un nouveau compagnons de voyage à bord, un petit gecko parachuté par on ne sait quel moyen ! Il nous a choisi, alors on accepte sa présence, sachant qu’il nous débarrassera de moustiques, mouches… En fait c’est l’animal de compagnie rêvé, on a pas à s’en occuper et il fait son job. Bon il est encore un peu farouche, mais je suis sûre que l’on arrivera bientôt à le domestiquer… Comme toujours, après les nuits en mer où le sommeil se restreint à 2 ou 3h, nous sommes bien claqués, aussi pas de bamboula nocturne ce soir !
Le 17/07/15
Nous allons à terre donner notre poisson et une pastèque aux habitants du lieu. Un papy à la longue barbichette blanche de 30 cm et une meute de chiens nous accueillent. Il est seul sur le motu et tous les autres sont partis livrer poissons et langoustes à Fakarava avec leur bateau. « – Langoustes ? il a bien dit langoustes ? » Du coup, nous allons faire un tour à pied autour des différents motus pour repérer les platiers en vu de chasse à la langouste. Ces lieux sont vraiment sauvages, de grands reefs parsemés de coraux vivants s’étendent à perte de vue. Nous marchons sur un plateau de couleurs dont le rose domine. Partout où se pose le regard, il se nourrit. Des bouquets de fleurs de corail aux teintes irréelles jaillissent : violets, jaunes, roses intenses, ici et là des oursins crayons, coquillages.
La création nous révèle une fois de plus sa perfection. Et dans l’eau, en plongée, c’est l’euphorie. Marco part chasser, il a l’embarras du choix. Sachant que j’apprécie particulièrement les Carangues, il en tire une, mais elle se décroche. Le temps qu’il réarme son fusil, 4 requins surgissent et la dévore. Il se rabat donc sur une autre ne leur laissant pas le temps, cette fois, de venir lui piquer sa proie. Il la sort rapidement de l’eau. A la nuit, nous partons avec nos frontales, accompagnés de notre nouveau copain le tueur : le chien pêcheur. Celui-ci nous a adopté dès notre première rencontre, il nous suit partout. Tous les chiens ici sont élevés aux poissons, ils n’ont certainement jamais goûté à la viande… Aussi, notre chien a appris à les attraper. On s’étonne de le voir courir, sauter sur les coraux acérés sans se couper les coussinets ! Sa technique est au point et il ne manque pas de ramener à nos pieds de beaux perroquets. Nous les remettons à l’eau sous ses yeux chargés d’incompréhension. « Nous sommes là pour la chasse à la langouste et non aux perroquets mon pote… » Notre tueur nous ramène même, le jour suivant, un petit requin…
Il nous faut peut être songer à porter des lunettes de vue. Marco trouve néanmoins, un trésor : une grosse porcelaine. Finalement, cette découverte nous enthousiasme plus encore que si nous avions trouvé une langouste ! Chaque jour, nous savourons ce qui nous entoure, nous avons conscience que ce que nous vivons ici est unique : rien que le fait de ne pas avoir d’obligations, d’impératifs, d’horaires, de travail. De ne pas recevoir de factures, paperasses et j’en passe. C’est vraiment une autre vie, tout est nouveau, surprenant et simple. En fait, nous réalisons que nous n’avons jamais vécu de façon aussi légère si l’on excepte les Tuamotu.
Là, où finalement le monde moderne n’existe pas. Là où il n’y a que la nature reine des lieux et des habitants qui la respectent et vivent selon ses lois. Alors c’est étonnant de nos jours de découvrir des villages où l’unique commerce est une petite épicerie aux rayonnages dégarnis. Pas de bars, pas de restos, pas de pharmacie, pas de magasins de vêtements ou autres, souvent pas d’internet, pas de coiffeur. Les seules professions existantes sont : pêcheurs, ramasseurs de copra, mères au foyer, un instituteur ou institutrice, une infirmière, un maire, une secrétaire de mairie et basta. Tu veux être quoi toi quand tu seras grand ? Ici personne n’est pauvre, personne n’a faim, tout le monde a un toit. Personne n’est mis de côté, les vieux sont intégrés, respectés. Chacun travaille et contribue dans la mesure de ce qu’il est capable de faire. Il n’y a pas de pression de réussite, de devenir ou d’ambition, du coup, la quiétude, la joie, le partage rayonnent d’une intense façon. En fait, ce fonctionnement nous interpelle, car il remet en cause beaucoup de nos idées reçues au sujet du progrès. Un catamaran d’Italiens vient d’arriver. Il s’agit d’un couple avec enfant qui font du charter à bord de leur bateau, ils ont donc une autre famille avec eux. Marco, le propriétaire du cata et mon Marco décident d’aller chasser derrière le tombant. Là c’est une autre dimension, les poissons qui vivent dans les profondeurs sont quelque peu démesurés, et mieux vaut être accompagné pour chasser dans ces parages. Un banc de gros poissons leur passent sous le nez, ils en tirent un chacun et les remontent illico, les requins gris ne rigolent pas dans le quartier. Comme aucun des Marco ne connaissent ces poissons, ils vont les montrer à barbichette. « Ha c’est con ça, c’est le seul poisson qui n’est pas bon à manger ! » Du coup, le rital nous invite à la tombée de la nuit, sur son cata pour assister au nourrissage des requins avec le fruit de leur pêche. Un bout est passé dans les ouïes, les proies sont mise à l’eau, les éclairages illuminent l’arrière : en quelques secondes une dizaine de requins (gris, pointes noires) tournent autour, se rapprochent et le carnage commence. Le plus aventureux vient goûter à la chaire fraîche déclenchant une hystérie collective. Cela saute partout, les mâchoires claquent à tout va, les mouvement sont si rapides que cela en est effrayant, l’eau bouillonne de toute part. Leur frénésie se calme un peu, lorsqu’il ne reste plus que le bout pendant à moitié déchiqueté. Les spectateurs sont médusés, chacun imagine un instant, s’il tombait à l’eau maintenant… Après ce spectacle, les Italiens nous proposent un petit apéro avant de repartir, histoire d’attendre que les eaux retrouvent leur calme.
Chaque jour, nous retrouvons Barbichette qui nous dit inlassablement : « Demain c’est sûr la famille va rentrer… » Mais cela fait maintenant 10 jours et papy est toujours seul. Ce qui l’inquiète le plus c’est qu’il n’a plus de clopes, alors lorsqu’on lui ramène du tabac, quel n’est pas son soulagement. Il semble aussi apprécier mon pain à la poêle, la miche en entier y passe en un seul repas avec du beurre. Marco va lui chasser aussi quelques poissons. Du coup il nous donne des noix de cocos et papayes. Nous passons de bons moments en sa compagnie, lui faisant découvrir le pastis et ses vertus; il nous dit ne rien avoir bu d’aussi bon, que c’est ce qu’il préfère! Les discussions arrosées de moments de silence, nous font apprécier chaque mot et chaque gorgée. Ce personnage n’est pas commun : ses yeux noirs intenses sont animés d’une lueur malicieuse et joyeuse, deux longues dread locks blanches constitue sa barbiche, il n’a plus de dents de devant mais son sourire continuel est radieux. Chaque jour, il balaye le motu durant des heures, nourrit les cochons, il semble apprécier le fait d’être seul, peinard, de fumer sa clope dans le hamac. Il pourrait avoir de l’électricité avec le groupe électrogène de son fils, mais il n’en veut pas, il préfère une simple lampe à pétrole. Aujourd’hui la famille est enfin de retour, nous sommes invités à manger : bénitiers, poulpes, poulet, crabes des cocotiers, riz, pâtes et autres victuailles couvrent la table. Nos estomacs peu habitués à autant de nourriture se distendent et menacent d’éclater avec une bouchée de plus. Là encore, la générosité est matérialisée dans ce repas. Une grosse houle du Sud et un vent trop orienté Est, nous empêche de reprendre notre route. Alors, on patiente. Barbichette ne comprend pas pourquoi nous n’attrapons aucune langouste. Un jour, il nous dit : « Toi Marrrco tu viens ce soir, on va à la langouste et toi me dit-il en me regardant et ben, t’as qu’à rester sur ton bateau ! » Une envie de rire nous prend, nous attendons d’être seuls pour lui laisser libre cours. La spontanéité de Barbichette ne peut qu’être bien accueillie, il n’y a aucun faux semblant et aucune méchanceté derrière. Les bonnes femmes en principe restent à la maison, c’est comme ça ! Marco revient après 5 heures de chasse avec 5 langoustes ! Enfin ! La technique de Barbichette est identique à la notre, c’est juste que, jusqu’à présent, on a pas eu de bol ! On envisage de partir ce soir, même si le vent n’a pas la direction escomptée, nous devrions ainsi arriver à Fakarava demain matin pour l’heure de l’étale. Nous rejoignons Barbichette pour un dernier apéro Pastis. Il nous a préparé un gros sac de noix de coco fraîche à emporter. « Et ben mes copains, vous allez partir et moi je suis triste » nous dit il avec sincérité. Cet homme authentique, au grand cœur, nous touche, et nous sommes émus en le quittant. Certaines rencontres laissent des empruntes indélébiles, Barbichette est de ceux là.
Le 28/07
Une nuit difficile nous conduit jusqu’à Fakarava. Nous devons enchaîner des bords de près très serrés avec un vent de face et inévitablement une bonne houle. L’impératif de franchir la passe à l’heure dite, nous oblige à respecter l’horaire des marées ; malgré le bon vent nous devons mettre un appuis moteur pour accélérer. Nous arrivons avec un peu de retard au point J, le courant s’occupe de notre cas, heureusement la passe est large et le courant rentrant. C’est l’occasion d’établir notre record du monde de vitesse avec une pointe à 10 nœuds sans l’usage du moteur. Côté emplettes elles ne chargeront pas le bateau, on arrive après la bataille, encore un peu tard. Demain on doit rejoindre le sud à 60 km pour trouver un endroit abrité car le vent se radine ! Juste le temps de se connecter à internet super bas débit, donc on ne peut envoyer de photos. Nous ne pensons pas qu’à Raraka nous pourrons le faire ! Dommage. Bon été à tous et pleins de bisous bleutés.